Etat de l’art de la croissance de cristaux pour l’optique en France

Cristallogenèse

Les propriétés thermodynamiques et cinétiques du matériau à élaborer conditionnent pour une grande part la technique de cristallogenèse à employer : si le matériau ne présente pas de transition de phase ou s’il est stable jusqu’à sa fusion, il est généralement possible d’entreprendre la croissance cristalline directement à partir de l’état fondu ou de la phase vapeur ; dans le cas contraire, la cristallogenèse nécessite l’utilisation d’un solvant, ce qui constitue un degré de difficulté supplémentaire. Indépendamment de ces considérations, un matériau pourra nécessiter une croissance sous haute pression, sous vide, sous atmosphère contrôlée ou en ampoule scellée, ce qui rend les dispositifs encore plus lourds. D’un point de vue général, la cristallogenèse nécessite une étude préalable des conditions thermodynamiques de synthèse, à savoir composition chimique, température et pression, sur la base de banques de données et d’expériences spécifiques (THERMODATA Grenoble). La préparation des réactifs, qui est spécifique à chaque technique, est également une étape importante de l’élaboration. L’obtention de cristaux de grande dimension et de haute qualité nécessite des compétences en mécanique des fluides et en cinétique, de même qu’elle requiert la mesure de nombreux paramètres physico-chimiques comme la viscosité par exemple (ENSCPB MASTER Bordeaux, CRMC-N Marseille). L’obtention de grandes dimensions, millimétriques ou centimétriques, se justifient non seulement dans le cadre d’une problématique de transfert industriel, mais également pour la recherche de base car la mesure d’une propriété optique nécessite généralement des échantillons de plusieurs millimètres cubes. En effet, seule la forme monocristalline permet de caractériser les propriétés intrinsèques d’un matériau (et non biaisées par sa microstructure) ainsi que leur anisotropie (dans le cas des symétries non cubiques). Il est à noter que la communauté scientifique française délaisse la cristallogenèse de cristaux massifs de grande dimension, en raison notamment du coût très élevé de ces opérations et du manque de considération des instances d’évaluation pour ce type de recherche. Le risque est donc fort de voir certains métiers disparaître si des initiatives ne sont pas prises à temps.

Ci-dessous sont précisées les principales techniques de cristallogenèse utilisées actuellement pour les monocristaux massifs à propriétés optiques : il s’agit principalement de croissance à partir de la phase fondue ou en solution. La croissance est réalisée sur germes orientés. Les autres méthodes de croissance cristalline, comme la méthode en phase gazeuse par exemple, sont plus rarement utilisées dans le domaine des cristaux massifs pour l’optique. Il ne faut toutefois pas les négliger dans ce cadre, car dans certains cas elles peuvent constituer des alternatives intéressantes.

Croissance à partir de la phase fondue

Czochralski
Cette technique haute température, jusqu’à 2000°C, est particulièrement bien adaptée à la croissance de composés semiconducteurs, oxydes ou fluorures synthétiques pour lesquels la phase fondue ne nécessite pas de creuset étanche. C’est la méthode employée industriellement pour le tirage du silicium, du germanium, et également pour certains oxydes ou fluorures synthétiques à propriétés optiques comme LiNbO3 ou les matrices lasers de YAG (Y3Al5O12), de « saphir » (Al2O3), de LiYF4 et de (Gd,Y)COB ((Gd,Y)Ca4O(BO4)3). Cette technique, dont la difficulté majeure est la maîtrise des hautes températures, permet d’obtenir de très gros volumes avec des vitesses de croissance élevées (LCMCP-ENSCP Paris, LPCML-ILM Lyon, CIMAP-MIL Caen, LMOPS Metz, ONERA Chatillon, ICMCB Bordeaux). Notons dans cette rubrique qu’une des actions récentes du réseau CMDO+ a été de récupérer trois des bâtis de cristallogenèse utilisés auparavant à l’Université du Mans pour la croissance de fluorures et qui était disponibles suite au départ en retraite du chercheur responsable de cette activité. Un des fours a été ainsi transféré à l’ENSCP à Paris, l’autre à l’ICMCB à Bordeaux et le troisième au CIMAP-MIL de Caen, ce dernier l’utilisant, entre autres, pour faire croître des cristaux de LiYF4 purs de grande dimension (diamètre 40mm) servant de substrats orientés pour le dépôt de couches minces par épitaxie en phase liquide (LPE). Le lecteur trouvera un exposé plus complet sur cette technique en cliquant ici.

Bridgman
Cette méthode repose également sur la technologie des hautes températures, avec des températures de travail comprises entre 300 et 1400°C. Elle est utilisée pour les composés dont la phase fondue est toxique ou très réactive vis-à-vis de l’air ou présente une pression de vapeur élevée : la croissance est alors réalisée en ampoule scellée, ce qui constitue une difficulté supplémentaire par rapport à la technique Czochralski. Elle est utilisée pour la croissance de certains semiconducteurs pour l’optique comme GaAs, AgGaS2, AgGaSe2, GaSe, Tl3AsSe3, ZnGeP2 ainsi que pour les fluorures, chlorures et bromures tels que CaF2, KPb2Cl5 ou CsCdBr3 (CIMAP-MIL Caen, ICMCB Bordeaux, ONERA Châtillon, GeMaC Meudon, CEA/CEREM Grenoble).


Voici quelques exemples de cristaux pour applications laser et scintillateurs :

en photo ci-dessus : aluminates dopés Nd et Cr/tungstate de calcium dopé Nd/silicates dopés terres rares

en photo ci-dessus : silicate de lutétium dopé Ce/YCOB pur/YCOB dopé Nd

LHPG et micro-pulling down (fibres cristallines) La technique « Laser Heated pedestal Growth (LHPG) » comme la technique du « Micro-Pulling Down (µPD) » sont basées sur la méthode de la zone flottante et consiste à tirer des fibres monocristallines de quelques centaines de microns à quelques mm de diamètre. La première utilise des barreaux de poudres compactées et un chauffage laser sans creuset. La seconde consiste à tirer des fibres à travers une buse micrométrique pratiquée au fond d’un creuset de platine. Ces techniques permettent de fabriquer différents types de matériaux (Al2O3, LiNbO3, YAG, etc.) sous la forme de fibres pouvant être supérieures au mètre (LPCML-ILM et Fibercryst à Lyon, LMOPS à Metz). De plus amples détails peuvent être obtenus en cliquant ici.

La Croissance de monocristaux massifs en forme (EFG : Edge Defined Film Fed Growth)


— Croissance en solution

Croissance en solution au voisinage de la température ambiante et à pression atmosphérique
C’est la situation la plus favorable pour la cristallogenèse en solution. Elle est adaptée aux cristaux à basse température de fusion comme les composés organiques (POM, NPP), organo-minéraux (2A5NPDP), et certains sels minéraux comme KDP. Cette méthode permet l’obtention de gros volumes de matière avec des vitesses de croissance élevées. En France, cette technique n’est plus maîtrisée que par très peu d’équipes (Institut Néel Grenoble).

Croissance en solution à haute température et à pression atmosphérique (flux)
La méthode des flux s’apparente à la technique Czochralski, la différence essentielle tenant à la dissolution du composé dans un solvant. Les températures n’excèdent généralement pas 1400°C. C’est la méthode utilisée pour la fabrication des cristaux massifs d’oxydes, phosphates et borates synthétiques à fusion non congruente comme KTiOPO4, BaTiO3, LiB3O5, ou à fusion congruente comme BaB2O4 et YAl3(BO3)4. C’est aussi la méthode utilisée dans la technique d’épitaxie en phase liquide (LPE) pour la fabrication de couches minces d’oxydes ou de fluorures comme Y3Al5O12, Y2SiO5, CaF2 et LiYF4. La méthode des flux nécessite une connaissance extrêmement précise des diagrammes de phase afin d’éviter la cristallisation de phases parasites qui rendent sa mise en oeuvre plus délicate que la technique Czochralski. C’est peut-être ce qui explique que peu de laboratoires maîtrisent cette méthode (ICMCB Bordeaux, Institut Néel Grenoble, CIMAP-MIL Caen, LCMCP-ENSCP Paris). Notons qu’un transfert de compétences a eu lieu, depuis l’ICB Dijon vers l’Institut Néel Grenoble, permettant de regrouper sur un même site une partie du savoir-faire français en cristallogenèse en solution hautes et basses températures.

Croissance en gel
C’est une méthode qui permet également de travailler au voisinage de la température ambiante. Le solvant est un milieu gélifié dont l’avantage est l’obtention de cristaux de très bonne qualité du fait d’un régime de croissance purement diffusif. Cette technique peut être utilisée pour la croissance de composés organiques et organominéraux, mais également pour certains minéraux. L’inconvénient de cette méthode est qu’elle ne permet pas actuellement d’obtenir des cristaux de grande dimension car les réacteurs de croissance ont un volume limité à quelques dizaines de cm3, ce qui correspond au volume typique pour lequel un gel est homogène (IMCMP Paris). Cette technique est surtout employée pour les films minces ; son avenir pour les cristaux massifs dépendra de l’augmentation du volume réactionnel compatible avec une bonne homogénéité compositionnelle.

Croissance hydrothermale
La croissance hydrothermale est probablement la technique la plus délicate à mettre en oeuvre car il faut être capable de gérer non seulement des températures relativement hautes (plusieurs centaines de degrés Celsius), mais également des pressions élevées qui peuvent atteindre plusieurs centaines d’atmosphères. C’est la méthode de croissance du quartz et de ses isotypes (LPMC Montpellier, ICMCB Bordeaux).